Publié le : 12/12/2020 – Modifié le 19/02/2021
Proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement en France
Depuis la Loi Veil de 1975, il existe en France un cadre légal permettant aux femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse pour des raisons non médicales (IVG). Il est possible de retrouver ce cadre juridique aux articles L2212-1 à L2212-11 du Code la santé publique1. Celui-ci a beaucoup évolué depuis son origine afin de garantir une meilleure effectivité de ce droit. En effet, il est possible de relever des modifications majeures, telles que l’allongement du délai légal en 2001, ou encore une prise en charge totale des frais de soins et d’hospitalisation par l’Assurance maladie depuis 2013. Cependant, il faut souligner que ces modifications sont longues et difficiles à adopter car le sujet de l’IVG a toujours divisé la France. Entre éthique, débats politiques, avancées de la médecine et évolutions des droits des femmes, il semble difficile de concilier les différents avis. Même si le sujet de l’IVG semble complexe, il revient pourtant régulièrement au cœur de l’actualité comme le montre le dépôt à l’Assemblée nationale, le 25 août 2020, de la proposition de loi « visant à renforcer le droit à l’avortement ».
Dans cet article, nous souhaitons vous présenter cette proposition de loi en indiquant son origine, ses mesures et leurs motifs avant d’expliquer son parcours d’adoption.
PRESENTATION DE LA PROPOSITION DE LOI VISANT A “RENFORCER LE DROIT A L’AVORTEMENT”
Qui est à l’origine de cette proposition ?
Le 25 août 2020, avait en effet été déposée par 49 députés une proposition de loi N°3292 « visant à renforcer le droit à l’avortement »2. Ce projet est mené par Albane GAILLOT, députée du Val-de-Marne et référente égalité femmes-hommes du groupe Ecologie Démocratie Solidarité. Cette dernière évoque une proposition de loi dite transpartisane, « Elle n’est ni celle d’un parti, ni celle d’une faction politique, encore moins la mienne. Elle est celle de toutes et tous, dans l’intérêt de toutes les femmes. ». En effet, il est relativement rare qu’une proposition de loi soit soutenue par autant de groupes politiques. Cependant, il faut relever que ces différents partis sont de gauche ou du centre (Ecologie Démocratie Solidarité, Agir Ensemble, Gauche démocrate et républicaine, France Insoumise, Parti Socialiste, La République en Marche, Libertés et Territoires, et le Modem). Cette proposition de loi fera l’objet d’un renvoi devant la Commission des Affaires sociales.
La Commission ainsi saisie examine le texte et adopte le rapport N°3383 le 30 septembre 20203. Dans ses conclusions la Commission modifie et propose même d’autres articles que ceux qui lui ont été présentés. C’est ce rapport qui servira de base à la discussion des députés à l’Assemblée nationale le 8 octobre 2020.
Que contient cette proposition ?
Il est possible de dégager six mesures du rapport de la Commission des affaires sociales. Notamment deux principales qui ont beaucoup été relayées par les médias : l’allongement du délai légal pour avoir recours à une IVG et la suppression de la clause de conscience spécifique à la pratique de l’avortement.
LES MESURES PHARES :
L’allongement du délai légal pour avoir recours à une IVG instrumentale de 12 à 14 semaines de grossesse :
Tout d’abord pour aborder la question de l’allongement du délai légal, il faut préciser qu’à l’époque de la Loi Veil le délai pour qu’une femme puisse avoir recours à un avortement pour raison non médicale était limité à 10 semaines de grossesse. En 2001, la loi N°2001-5884 vient allonger ce délai maximum de deux semaines. Elle est aujourd’hui toujours en vigueur puisque l’article L2212-1 du Code de la santé publique indique qu’une interruption “ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse.” Dans la proposition de loi de 2020 il est bien question d’un nouvel allongement de ce délai pour les IVG instrumentales et non pour les IVG médicamenteuses qui resteraient quant à elles limitées à la cinquième semaine. Le délai maximum afin de pratiquer une IVG instrumentale passerait ainsi à 14 semaines de grossesse. Rappelons qu’il n’existe aucun consensus juridique ou médical sur le moment du commencement de la vie. Cela explique qu’en Europe, les législations relatives au délai légal soient si différentes. Même si la plupart des états européens ont fixé leur délai maximum à la fin de la douzième semaine, d’autres pays comme l’Allemagne et l’Autriche ont déjà adopté l’allongement du délai jusqu’à 14 semaines. D’autres pays comme la Suède, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont une législation qui autorise les femmes à recourir à une IVG jusqu’à respectivement, 18, 22, puis 24 semaines de grossesse.
La suppression de la clause de conscience spécifique à la pratique de l’avortement :
Aujourd’hui en France une clause de conscience est reconnue aux professionnels de santé, ce qui leur permet de refuser de pratiquer un acte médical qui, bien qu’autorisé par la loi, soit contraire à leur conviction personnelle ou professionnelle. Il est important de souligner que depuis la Loi Veil, il existe une “double clause de conscience” concernant le sujet particulier de l’avortement. En effet, l’article R4127-47 du Code de la santé publique admet une clause de conscience générale. Cette dernière peut donc concerner tout acte médical, y compris la pratique de l’IVG. Mais il existe également l’article L2212-8 du Code de la santé publique qui indique qu’ « Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse”. Cet article prévoit également une obligation pour le professionnel de santé d’informer rapidement la patiente de son refus et de l’orienter vers un autre praticien susceptible de réaliser l’intervention demandée. Ainsi, la proposition de loi voudrait supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG tout en conservant l’obligation du professionnel.
LES AUTRES MESURES :
D’autres mesures sont également envisagées et toutes sont aussi importantes à relever même si les médias les abordent peu.
Elargissement de la compétence des sages-femmes afin qu’elles puissent pratiquer l’IVG instrumentale :
Dans la proposition de loi, il est question d’étendre la compétence des sages-femmes en leur permettant de pratiquer une IVG instrumentale jusqu’à la dixième semaine de grossesse. Une loi de 2016 dite “de modernisation de notre système de santé” était déjà intervenue afin de les autoriser à pratiquer des IVG médicamenteuses.
Suppression du délai de réflexion de deux jours pour les femmes ayant suivi l’entretien préalable afin de confirmer leur volonté d’avoir recours à une IVG :
En effet, un entretien dit psycho-social est systématiquement proposé aux femmes majeures voulant avoir recours à une IVG, mais il est également obligatoire pour les femmes mineures. Après cet entretien un délai débute avant que la femme concernée puisse confirmer son choix d’IVG. Ainsi la proposition de loi viendrait supprimer ce délai post-entretien, pour que les femmes puissent confirmer par écrit leur demande d’IVG dans le délai qu’elles souhaitent y compris directement après l’entretien.
La compensation financière versée aux organismes de sécurité sociale si le nombre d’IVG augmente :
Si l’allongement du délai légal ainsi que l’extension de la compétence des sages-femmes entrent en vigueur, il est à prévoir une augmentation des IVG pratiquées en France et donc une augmentation des prises en charge pour la Sécurité sociale. Une compensation financière serait alors versée à ces organismes.
Un rapport du gouvernement sur le délit d’entrave à l’IVG :
La proposition de loi prévoit enfin la rédaction d’un rapport par le gouvernement pour le Parlement qui évaluera la mise en œuvre de la disposition pénale du délit d’entrave à l’IVG ainsi que l’ampleur du phénomène. Aujourd’hui ce délit se retrouve à l’article L2223-2 du Code de la santé publique. Est sanctionné de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende «le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse». Il faut aussi relever que ce délit avait été élargi aux entraves faites par voie électronique ou en ligne par une loi de 2017.
Quels sont les motifs d’une telle proposition de loi ?
Afin de justifier ces différentes mesures de nombreux motifs sont avancés dans l’introduction du rapport rendu par le Commission des Affaires sociales.
Ce rapport commence par introduire les chiffres-clés de l’avortement en France avant de constater une augmentation récente des IVG pratiquées, la prédominance du recours à la méthode médicamenteuse ainsi qu’une variation importante des recours en fonction de l’âge des femmes et des zones géographiques.
La Commission poursuit en soulignant “la persistance de difficultés inacceptables”, ainsi plusieurs points soulignant les difficultés d’accès à l’IVG sont relevés :
Le cas des femmes concernées par le dépassement du délai légal français pour avoir recours à une IVG :
Le rapport souligne le cas de ces femmes qui sont “confrontées à un choix nécessairement insatisfaisant”, c’est-à-dire poursuivre une grossesse non désirée ou partir à l’étranger afin de demander une IVG dépassant les 12 semaines. Ce dernier cas concerne chaque année 3000 à 5000 femmes selon le rapport de la Délégation aux droits des femmes de septembre 2020. De plus, il faut souligner que toutes les femmes ayant dépassé le délai légal en France ne peuvent pas se permettre de partir à l’étranger notamment pour des raisons financières, elles doivent donc subir leur grossesse, ce qui crée une inégalité sociale.
Les difficultés structurelles dans l’accès à l’IVG pour toutes les femmes :
Deux phénomènes sont ainsi mentionnés, la “désertification médicale de certaines régions” et “l’engorgement de certains centres hospitaliers”. Ces difficultés structurelles impliquent une grande disparité géographique en France, comme en témoigne le taux de recours à l’IVG selon les régions. De plus, comme il n’existe pas de recensement des professionnels acceptant de pratiquer une IVG, une autre difficulté réside dans la recherche de tels praticiens ou dans la réorientation des femmes vers ces derniers.
Des situations personnelles et complexes mal prises en compte :
La Commission souligne que l’allongement du délai légal pourrait permettre de résoudre certaines situations complexes qui par leur nature impliquent une prise en charge tardive. C’est le cas notamment des découvertes tardives d’un état de grossesse comme dans le cas d’un déni par exemple, ou encore dans le cas d’une pression voir de violences intrafamiliales exercées sur une femme pour qu’elle n’ait pas recours à une IVG.
Des problèmes d’accès révélés par la situation sanitaire actuelle et aggravés par les périodes de confinements :
En effet, les chiffres relevés par le Planning familial sont inquiétants. Lors du premier confinement il a vu le nombre d’appels augmenter significativement de 31% et le nombre de demandes pour une IVG dépassant les 12 semaines de grossesse quasiment tripler par rapport à la même période en 2019.
Un double impact négatif du maintien d’une clause de conscience spécifique à l’IVG:
Selon la Commission ce maintient a pour première conséquence néfaste une perception de la pratique de l’avortement. En effet, elle s’inquiète que l’IVG soit encore perçue “comme un acte médical à part”, c’est-à-dire différent des autres interventions ou actes médicaux. En temps que l’illustration, la Commission cite les propos choquants du président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France qualifiant l’IVG d’homicide en 2018 ainsi que sa menace d’une “grève des IVG” en 2019.
De plus, est également dénoncée par la Commission une pratique abusive de la clause de conscience par certains professionnels de santé. Ces derniers l’utilisent afin de justifier leur refus de pratiquer une IVG qu’ils considèrent comme tardive, alors même qu’elle respecterait le délai légal des 12 semaines de grossesse. Ce qui peut être perçu comme une volonté de contourner la loi plutôt qu’une volonté de protection de leurs convictions personnelles ou professionnelles. Cet abus peut en partie expliquer le faible taux des IVG pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, qui représentent seulement 5% des IVG pratiquées en France.
DE L’ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE AU REJET DU SÉNAT
L’adoption du texte par l’Assemblée nationale :
L’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi N°4885 le 8 octobre 2020 dans le cadre d’une « niche parlementaire ». C’est-à-dire une journée réservée à l’examen de textes défendus par un groupe d’opposition. Cette proposition a obtenu 86 voix pour, 59 voix contre ainsi que 7 abstentions. Le parti de La République en Marche a voté massivement en faveur de la proposition avec 48 voix contre 10 alors que le parti des Républicains compte seulement 2 voix pour.
La proposition de loi N°488 ainsi votée contient neuf articles qui reprennent les mesures du rapport de la Commission des affaires sociales et en apportent d’autres :
L’article premier vient modifier l’article L2212-1 du Code de la santé publique en allongeant le délai légal pour avoir recours à un avortement jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse, et améliore aussi l’information relative aux méthodes abortives.
L’article 1 bis modifie l’article L2212-2 du Code de la santé publique en consacrant l’extension de la compétence des sages-femmes afin qu’elles soient autorisées à pratiquer des IVG instrumentales jusqu’à la dixième semaine de grossesse.
L’article 1 ter A vient quant à lui modifier des articles du Code de la Sécurité sociale et du Code de la santé publique, ainsi que deux ordonnances. Ces modifications ont pour but de rendre le tiers payant intégral et systématique en cas de recours à l’IVG afin de garantir au mieux la confidentialité de l’acte pour la patiente.
L’article 1 ter supprime la deuxième phrase de l’article L2212-5 du Code de la santé publique et donc le délai de deux jours après l’entretien préalable afin de pouvoir confirmer sa demande d’IVG.
L’article 2 vient supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG de l’article L2212-8 tout en conservant l’obligation professionnelle de réorientation de la patiente. Cet article 2 vient également compléter l’article L2212-2 en indiquant que les agences régionales de santé doivent publier un répertoire recensant les professionnels de santé et les structures pratiquant des IVG.
L’article 2 bis A, vient ajouter aux discriminations relatives à l’accès aux soins, le fait de refuser de délivrer un moyen de contraception d’urgence.
L’article 2 bis reprend l’idée de la remise d’un rapport par le gouvernement au Parlement sur l’application de la législation du délit d’entrave à l’IVG.
L’article 2 ter prévoit lui aussi la remise d’un autre rapport portant sur l’évaluation du dispositif relatif à l’accès à l’IVG.
Enfin, l’article 3 reprend la compensation due aux organismes de Sécurité sociale.
Lors de la séance publique de l’Assemblée nationale, le débat était plutôt houleux entre les députés. L’ensemble des partis politiques de gauche a voté en soutien de la proposition de loi. Ils ont considéré cette adoption comme une avancée historique en faveur des droits des femmes. Alors qu’à droite les opposants ont remis en cause, article par article, ces différentes mesures estimant qu’elles viendraient déséquilibrer la Loi Veil. En effet, beaucoup de députés partisans comme opposants, ont fait référence aux idées de Simone Veil afin d’appuyer leurs propos diamétralement opposés, faisant ainsi ressurgir les fantômes d’un débat vieux de quarante-cinq ans.
La rapporteuse à l’origine de la proposition de loi, Albane GAILLOT, se réjouit de ce vote favorable et le qualifie de “première victoire”. Cependant le gouvernement reste lui plus sceptique. Comme en témoigne l’attitude du ministre de la Santé, Olivier VERAN, lors du débat. Ce dernier s’était montré très prudent en qualifiant le sujet de trop “sensible” pour être débattu dans le cadre d’une niche parlementaire. Il déplore notamment une absence de consultation des “instances installées par l’Etat pour éclairer les politiques publiques” afin de pouvoir faire “un travail complet et abouti”. Ainsi il saisit le jour même le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) afin qu’il puisse rendre son avis avant que la proposition ne soit débattue au Sénat. L’argument de ce débat bâclé a été repris par les députés s’opposant à la proposition de loi, ce qui a provoqué l’agacement des partisans. Ces derniers indiquent qu’un travail de dix-huit mois avait tout de même été réalisé par la Délégation aux droits des femmes afin de rendre un rapport qu’ils considèrent complet. La présidente de cette délégation, Marie-Pierre RIXAIN, se prononçant sur la saisine du CCNE rétorque qu’”aujourd’hui, l’IVG n’est pas une question d’éthique mais de droit des femmes”.
L’avis du Comité consultatif national d’éthique :
Saisi par Olivier VERAN, le Comité consultatif national d’éthique rend son opinion le 8 décembre 2020.
Dans ses propos introductifs le Comité indique que sa réflexion est axée sur le droit des femmes et leur prise en charge dans le cadre d’un avortement. Il poursuit en affirmant que sa démarche consiste à répondre à la question suivante : les mesures envisagées dans cette proposition de loi participent-elles à “la bienfaisance et à la non-malfaisance à l’égard des femmes” ? Cette affirmation semble répondre directement aux inquiétudes exprimées par Marie-Pierre RIXAIN. Cependant, dès l’introduction le Comité indique que “la pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire”, ce qui entre en contradiction avec la démarche proposée par les députés à l’initiative de la proposition de loi.
Sur la question de l’allongement du délai légal de la douzième à la quatorzième semaine de grossesse :
Pour se prononcer sur la “bienfaisance” de cet allongement, le CCNE commence par étudier le nombre de françaises qui partent à l’étranger pour accéder à une IVG car leur grossesse dépasse le délai légal de 12 semaines. Selon les différentes sources utilisées par le Comité ce nombre est inférieur à 2000 par an, ce qui contredit les chiffres annoncés dans le rapport de la Délégation aux droits des femmes de septembre 2020 (entre 3000 et 5000 femmes chaque année). Mais le Comité valide les autres motifs avancés par la Commission des affaires sociales, sont ainsi mentionnées les difficultés d’accès à l’IVG liées aux inégalités des niveaux de vie et aux inégalités territoriales (disparités régionales, moins d’établissements de santé pratiquants l’IVG, …). Le Comité insiste également sur le rôle incontournable de l’accès à l’information et sur le rôle de l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires. En prenant en compte ces différents constats le CCNE conclut que “la liberté d’avorter en France n’est pas remise en cause à ce jour” mais qu’un “faisceau de facteurs peut contribuer à la difficulté de sa réalisation durant le délai légal autorisé”.
Concernant maintenant les enjeux éthiques du prolongement du délai légal le CCNE affirme que “Plus le terme est avancé, plus le pourcentage de complications augmente, mais les complications graves sont très rares et il n’existe que peu, voire pas de différence entre 12 et 14 semaines de grossesse”. Le Comité ne s’oppose donc pas à un éventuel allongement du délai légal afin d’avoir recours à une IVG instrumentale.
Sur la question de la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG :
Le Comité indique qu’il existe deux sortes de raisons qui ne “militent pas pour cette suppression”.
Tout d’abord, il aborde les raisons dites “juridiques”, en estimant qu’elles ont “un fondement éthique profond”, puisque “l’avortement n’est pas un acte médical comme les autres”. Il relève tout de même que cet aspect s’est atténué avec le temps, grâce aux évolutions de la loi Veil tendant à rendre l’IVG plus accessible. Or, il semble que, pour le Comité, l’IVG reste toujours “un compromis entre le respect de tout être humain dès le commencement de la vie et la liberté des femmes enceintes de refuser de poursuivre une grossesse”. Ainsi, il s’avère que les inquiétudes de Marie-Pierre RIXAIN étaient fondées. La saisine du Comité vient réintroduire l’aspect éthique dans un choix qui demeure intimement personnel et qui est aujourd’hui considéré comme un droit des femmes à disposer librement de leur corps : le droit à l’avortement.
Ensuite, le Comité identifie également des raisons “pratiques”. Sa réflexion s’axe autour de la valeur juridique de la clause de conscience. En effet, il faut souligner que la clause spécifique à l’IVG a une valeur législative, alors que la clause de conscience générale possède uniquement une valeur réglementaire. Ainsi le Comité démontre, à juste titre, l’existence d’un danger : “la clause réglementaire pouvant toujours être aménagée ou supprimée facilement hors de tout débat public”. Il estime donc que supprimer la clause législative spécifique à l’IVG, reviendrait à plonger les gynécologues et les sages-femmes dans l’incertitude puisque leurs conditions d’exercice peuvent évoluer trop facilement. De plus, il insiste également sur le fait que cette incertitude pourrait faire renoncer les jeunes voulant se lancer dans ces carrières médicales. Il conclut ainsi que la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG pourrait être contre productive par rapport au but recherché.
Le Comité, dans son avis, se dit donc favorable au maintien de la clause de conscience spécifique qui “souligne la singularité de l’acte médical que représente l’IVG”.
Le rejet en bloc du Sénat :
Dès le lendemain de l’adoption de la proposition par l’Assemblée nationale, le texte a été transmis au Sénat. La proposition de loi doit donc continuer son parcours législatif et être adoptée à l’identique par les deux chambres, afin que la nouvelle loi puisse être promulguée.
Le Sénat étant majoritairement de droite, les députés soutenant la proposition de loi s’inquiétaient que le texte ne soit jamais adopté ou même étudié par le Sénat. Il faut en effet, inscrire un texte à l’ordre du jour pour que celui-ci soit étudié par le Sénat. Le Parti socialiste a finalement réussi à inscrire assez rapidement la proposition de loi grâce à une niche parlementaire. Cette inscription déclenche normalement la phase de débat des articles puis, de vote par les sénateurs. Or, le groupe Les Républicains a posé une question préalable menée par Corinne IMBERT. Cette question est en fait une procédure par laquelle une assemblée décide qu’il n’y a pas lieu d’engager la discussion du texte soumis à son examen, du fait d’un motif d’opposition qui rendrait inutile toute délibération au fond.
Ainsi, le 20 janvier 2021 le Sénat rejette en bloc, à 201 voix pour et 142 voix contre, la proposition adoptée par l’Assemblée nationale quelques mois plus tôt. Le débat qui s’est déroulé dans la deuxième chambre n’avait donc pas pour objet l’étude de chaque article du texte, mais bien l’utilité de débattre et de voter la proposition de loi elle-même.
Le débat de la motion a tout de même permis l’intervention de sénateurs favorables à ce texte dans sa globalité. La sénatrice socialiste Laurence ROSSIGNOL est notamment intervenue afin de rappeler que “L’IVG reste un droit fondamental dont l’effectivité en tous points du territoire n’est toujours pas acquis” et “qu’au cours des 15 dernières années, le nombre des établissements réalisant une IVG a diminué de 22 %”. Elle s’est aussi prononcée sur le maintien de la clause de conscience spécifique à l’IVG, la qualifiant de “compromis qui a permis l’adoption de la loi Veil”, elle estime aujourd’hui qu’elle “ne fait qu’entretenir la stigmatisation de l’IVG comme acte culpabilisant pour les femmes”. Les sénateurs de droite, majoritairement opposés à la proposition de loi, sont également intervenus afin de défendre la loi Veil et le maintien de la législation actuelle. L’intervention de la sénatrice Florence LASSARADE du groupe Les Républicains a, par exemple, beaucoup été relayée par les médias. La sénatrice défendant le maintien du délai légal actuel soutient que “dans ces conditions, le geste médical n’est plus le même au-delà de 12 semaines. La tête du fœtus est ossifiée et il faut l’écraser pour pratiquer une IVG”. Il faut tout de même rappeler qu’aucun consensus, qu’il soit médical ou juridique, n’existe à ce jour concernant la date à partir de laquelle l’embryon devient un foetus (“le commencement de la vie”).
Et maintenant ?
Le rejet du texte par le Sénat ne présage rien sur l’adoption ou l’abandon de la proposition. En effet, cette dernière doit désormais retourner à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture. Elle continuera ce mouvement de va-et-vient entre les deux assemblées, afin qu’un texte soit adopté en termes identiques. Cependant, au regard de la réticence du Sénat, il y a de fortes probabilités pour que ce texte ne fasse jamais l’objet d’un commun accord.
Ainsi, en cas de désaccord entre les chambres, le Gouvernement dispose de la possibilité de faire statuer l’Assemblée nationale en dernier ressort. Cette procédure permet à l’assemblée d’avoir le dernier mot sur l’adoption d’une nouvelle loi, sans que l’opposition du Sénat ne soit prise en compte. Cependant, dernière difficulté dans une telle situation, le Gouvernement semble sceptique et réticent face à cette proposition de loi, comme l’avait démontré l’intervention d’Olivier VERAN devant l’Assemblée nationale qui avait qualifié le sujet de “sensible”. Or, aujourd’hui le Comité consultatif national d’éthique a rendu une opinion qui, bien que timide, ne s’oppose pas à l’allongement du délai légal. Ainsi, le ministre de la santé qui avait lui même saisit le Comité pourrait se montrer plus favorable à cette proposition de loi visant à “renforcer le droit à l’avortement”.
Loélia ESPEILHAC
(1) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000029336815/2014-08-06#:~:text=Article
(2) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3292_proposition-loi
(3) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-soc/l15b3383_rapport-fond
(4) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000222631/
(5) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0488_texte-adopte-seance