Le droit à l’image face aux enjeux de la liberté de la presse
Le droit à l’image face aux enjeux de la liberté de la presse

Le droit à l’image face aux enjeux de la liberté de la presse

Le droit à l’image face aux enjeux de la liberté de la presse

Dans notre société moderne très médiatisée, la protection de la vie privée et de l’image des personnes est devenue un enjeu majeur.

Protégé par l’article 9 du code civil “chacun a droit au respect de sa vie privée”, le droit à l’image en est une extrapolation, et devient par conséquent un droit fondamental pour toute personne. Il permet à quiconque, célèbre ou non, de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation, de son image.

Lorsque les atteintes du droit à l’image entraînent également une atteinte du droit à l’honneur, s’est posée la question de la conciliation entre le droit civil et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Pour répondre à cette question, il faut savoir que l’articulation entre le droit général et ce droit spécial de la presse ne peut se faire sans la qualification juridique des faits. Les choses peuvent paraître simples en principe : lorsque les faits sont constitutifs d’une atteinte à la vie privée, y compris du droit à l’image, la responsabilité civile est engagée sur le fond de l’article 9 du code civil. Si les faits sont constitutifs d’une atteinte à l’honneur, dans les cas notamment de diffamation ou d’injure, l’action aura comme fondement la loi de 1881 qui crée un délit spécial.

Mais parfois, il est plus difficile de savoir si l’atteinte doit relever de la loi de 1881 ou de l’article 9 du code civil, et la question que l’on peut se poser est de savoir si l’on peut en faire une application parallèle ou concomitante. La responsabilité civile, basée sur l’article 1382 du code civil, n’intervient pas dans le régime de la loi de 1881, car cette dernière a son propre régime, davantage protecteur pour les victimes de violation par la presse de leur droit, que cela concerne leur droit à l’image ou tout autre droit protégé et ancré dans la loi de 1881. En effet, les abus de la liberté d’expression (par exemple dans notre cas l’atteinte du droit à l’image) prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, tels que les propos portant atteinte à la considération et constituant des diffamations, ne peuvent pas être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil, comme l’avait affirmé par exemple la cour de cassation dans un arrêt du 6 mai 2010, pour des dommages résidant dans la publication de propos constitutifs de l’une des infractions définies par la loi de 1881, et où la victime ne pouvait pas se prévaloir des règles du droit commun de la responsabilité civile. Après avoir restitué aux faits leur véritable qualification juridique comme diffamation, le juge avait affirmé que c’était bien le régime de la loi sur la presse qui s’appliquait[1].

La position des juges français semble aller à l’encontre de la position de la CEDH. Par exemple, en 2001 dans l’arrêt Thoma c/ Luxembourg[2], la Cour européenne n’a pas écarté, par principe, l’application parallèle ou concurrente de la loi de 1881 et de l’article 1382 du code civil luxembourgeois (identique au code civil français). Elle a également, dans l’arrêt Radio-France c/ France en 2004[3], estimé recevable une action en responsabilité civile engagée contre un média, alors même que les faits (la faute en cause) relevaient d’une infraction pénale spéciale telle que définie par la loi de 1881.

Ainsi en France, si les faits présentent le caractère d’un délit de presse, le régime de la loi de 1881 s’applique : l’atteinte du droit à l’image doit être qualifiée comme portant atteinte à la réputation de la personne visée, par delà la violation de son droit à l’image ou au respect de sa vie privée. Ceci se traduit notamment par la diffusion d’une image humiliante ou dégradante, sinon la condamnation se fera sous le régime de l’article 9. C’est ici que la difficulté apparaît : quand une image peut être considérée comme portant à l’honneur d’une personne ? 

La récente affaire d’un SDF photographié à son insu par Paris Match dans le métro, qui a bénéficié de 40 000 € de dommages et intérêt pour violation de sa vie privée et de son droit à l’image montre qu’il est rare qu’une photographie apparaissant dans un média soit intentée sous le régime de la loi de 1881. Le sans-abri a entrepris une démarche habituellement utilisée par les célébrités lorsqu’elles estiment que leur vie privée et leur droit à l’image a été violé par les paparazzi. La cour a jugé l’affaire sous l’angle du droit civil. Les juges ont réaffirmé le principe fondamental que la vie privée appartient à tous, quelle que soit sa fortune ou sa notoriété.

La protection de la vie privée et du droit à l’image face aux libertés d’expression et d’information

Sous l’influence de l’article 10 de la CEDH, les juges français ont consacré une nouvelle exception au droit à l’image : le droit à l’information du public, branche de la liberté d’expression. Alors que la liberté d’expression, elle, est encadrée par des nombreux textes, notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Convention européenne des droits de l’Homme ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit d’information du public lui n’est prévu dans aucun texte. Tandis que la liberté d’expression de manière large est une liberté fondamentale et essentielle, le droit au respect de la vie privée et au respect de son image est lui aussi essentiel. La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs affirmé que “le droit à l’image est l’un des attributs principaux de la personnalité, du fait qu’elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères.

Le droit à l’image est donc intéressant dans le sens où il est attaché à la personnalité. Il naît et demeure avec l’existence de la personne physique. Contrairement au respect de la vie privée, le droit à l’image ne disparaît pas au moment de sa mort lorsqu’il fait l’objet d’un sujet médiatique. Ce constat étant fixé, la publication, la diffusion ou la reproduction d’une image nécessite donc forcément le consentement de son titulaire, celui-ci disposant d’un droit exclusif et absolu sur sa vie privée. Cette autorisation n’est néanmoins pas toujours obligatoire. Les juges acceptent en effet, dans le cadre de la liberté de communiquer des informations, qu’une image d’une personne impliquée dans un événement d’actualité soit publiée, à condition surtout que l’image ait un lien direct et utile avec l’événement d’actualité.

L’autorisation ne sera donc pas obligatoire lors de certains cas d’événement d’actualité. Un événement d’actualité prime-t-il donc sur le droit à l’image ? Le droit à l’information du public, et de manière générale, la liberté d’expression, peuvent légitimer une atteinte au droit à l’image d’une personne impliquée dans un événement d’actualité. Ceci notamment dans des éléments d’affaires judiciaires.

La liberté de la presse à l’épreuve de la dignité de la personne humaine : l’affaire Erignac.


La seule limite imposée aux journalistes, c’est qu’ils doivent respecter, sur la photographie, la dignité de la personne.

Rappelons que la notion de dignité est un concept vague mais néanmoins érigé au rang de principe constitutionnel depuis la décision “Bioéthique” du 27 juillet 1994[4] du conseil constitutionnel. Le conseil y a déduit le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation, présente dans le Préambule de la Constitution de 1946.

Les juges ont parfois censuré la publication d’images portant atteinte à la dignité de la personne humaine.

La photographie du corps du préfet Claude Erignac, assassiné en 1998 par des indépendantistes corses, a été le fondement en matière de dignité de la personne dans les médias. La Cour d’appel avait d’abord fondé sa décision sur le champ de l’article 9 du Code civil en considérant qu’une telle publication constituait pour les proches “une profonde atteinte à leurs sentiments d’affliction, partant à l’intimité de la vie privée”[5]. La cour de cassation n’a pas retenu cette solution, et a pour la première fois fondé son jugement sur l’article 16 code civil sur la dignité, appliqué au domaine de l’image.

Cette affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’Homme, où la question de l’équilibre entre la liberté d’expression (et le droit d’informer) et le droit au respect à la vie privée. La Cour avait affirmé que la publication de la photographie du cadavre était une atteinte grave au respect de la vie privée et à la dignité de la personne humaine, qui ne s’arrête pas avec la mort de la personne[6].

Cette décision pose les bases du « photographiquement correct”. En matière de presse donc, est attentatoire à la dignité humaine la publication, dans le temps suivant un événement dramatique, de l’image qui prend pour objet essentiel la représentation d’une personne identifiée ou aisément identifiable, et saisie dans une situation particulièrement humiliante ou dégradante. Ceci dans une exception du domaine de l’information légitime, dans lequel en principe, aucune personne en rapport avec un événement public ne peut s’opposer à la diffusion médiatique de son image. Pourtant ici, la notion de dignité humaine, dans le cas où s’installerait une « curiosité malsaine du public”, est un obstacle à cette information légitime.

La recherche du sensationnel et de l’indécent comme obstacle à la diffusion de l’image : affaires de l’attentat du RER à Saint-Michel et du gang des barbares

De la même manière, les juges ont censuré une photographie représentant une victime de l’attentat survenu le 25 juillet 1995 à la station Saint-Michel du RER : “la liberté de communication des informations autorise la publication d’images des personnes impliquées dans un événement, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine”[7]. Dans cette affaire, il est intéressant de relever que les juges d’appel avaient considéré que la photographie litigieuse ne portait pas atteinte à la dignité de la personne représentée car elle était dépourvue de toute recherche du sensationnel et de toute indécence.

Les juges ont néanmoins ici fait une certaine confusion entre morale et droit. Se pose ici la question de savoir si une photographie indécente est forcément attentatoire à la dignité ?

L’utilisation de l’article 16 n’est peut être pas le mieux adapté. Pourtant, la loi du 29 juillet 1881 prévoit l’atteinte à la dignité dans la presse en réprimant en son article 35 quater, introduit par une loi de 2000, “la reproduction des circonstances d’une crime ou d’un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans son accord”. Cet article avait été introduit à des fins notamment de poursuivre des publications de photos de victimes d’attentats.

Depuis l’affaire Erignac, la Cour de cassation n’a retenu l’existence d’une atteinte à la dignité que dans le cas de l’hebdomadaire qui avait publié la photographie d’Ilan Halimi que ses ravisseurs avaient envoyée à la famille pour obtenir une rançon. Rappelons le, le jeune homme de confession juive, avait été, en 2006, enlevé, séquestré et torturé par le gang des barbares, en région parisienne.

La publication d’une photographie par le magazine Choc, qui montrait Halimi le visage abîmé, attaché, et une arme pointée sur lui notamment, démontrait une recherche du sensationnel, et n’était donc pas justifiée par les nécessités d’information du public[8]. Les juges ont considéré que la publication de cette photographie était contraire à la dignité humaine, et constituait une “atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d’expression et d’information”.[9]

La recherche du juste équilibre entre la liberté d’expression et le droit au respect de la dignité de la personne humaine par les juges conduit en réalité ces derniers à apprécier au cas par cas la finalité recherchée par la publication litigieuse : l’information légitime du public ou la recherche du sensationnel et de l’indécence. La frontière entre la licéité ou l’illicéité naît du but recherché par les médias dans cette publication.

Il faut aussi s’interroger sur la combinaison de la protection générale de la dignité humaine par l’article 16 du Code civil et les protections spécifiques visant à protéger la dignité humaine instituées dans le domaine de l’image par l’article 35 quater de la loi du 29 juillet 1881. La combinaison permet une protection approfondie. Choisir la règle spéciale signifie de la part des juges une réelle volonté de protéger les intérêts des personnes visées par l’image, telle que l’a fait la cour de cassation à plusieurs reprises en choisissant de régler l’affaire sur le fondement de l’article 34 de la loi de 1881 à la place de l’article 1382 du code civil sur la responsabilité civile, dans le domaine de l’atteinte à la mémoire des morts.

De manière générale, les juges doivent prendre en compte cette notion de dignité qui reste encore vague, surtout lorsqu’elle est mise en balance avec l’article 10 de la CEDH sur la liberté d’expression.

Le débat d’intérêt général : quid de la loi sur la sécurité globale ?

Au principe de dignité, les protestataires utilisent l’argument du débat d’intérêt général. Cette notion a été construite par la Cour européenne des droits de l’Homme, et estime que la liberté de la presse doit prévaloir sur la vie privée si l’article ou l’image en question participe au débat d’intérêt général. Ainsi, dès lors que la dignité de la personne humaine est respectée, la règle qui se dessine est que l’image d’une personne impliquée dans un événement d’actualité dont l’importance justifie qu’il soit communiqué au public, est licite. Les juges affirment par exemple la licéité de la publication d’une photographie relatant une opération de police liée à l’actualité.

La récente loi sur la sécurité globale, dont une disposition des plus contestées visant à interdire la diffusion d’images d’agents en opération pour leur sécurité est un exemple illustrant parfaitement cet équilibre dangereux auquel doit faire le juge : protéger la vie privée (même si ici ce sera plus la sécurité) des agents ou garantir une libre expression des événements par les médias ?

Une des mesures de cette loi prévoit un encadrement de la diffusion des images prises à l’occasion d’une intervention de police (article 24), il fait l’objet de grosses controverses. Cet article a donc fait l’objet d’une réécriture par le Sénat le 3 mars 2021.

Dans la version proposée par l’Assemblée nationale, et c’est ce qui a fait l’objet de contestations, il était prévu que “sans préjudice du droit d’informer”, de pénaliser la diffusion de “l’image du visage ou de tout autre élément d’identification” d’un policier ou d’un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter atteinte à son intégrité physique ou psychique”.

Le but de cette loi était de protéger les agents, mais les opposants y ont vu une disposition liberticide qui empêcherait de filmer les agents lors des interventions, et notamment les atteintes à la liberté de la presse.

La raison de la réécriture par le Sénat de l’article proposé par l’Assemblée nationale visent surtout le risque que toute captation d’image des forces de l’ordre en opération soit regardée comme une diffusion malveillante. De plus, la version de l’Assemblée nationale offrait une protection insuffisante aux agents, car les sanctions prévues sont moins lourdes que celles existantes pour les infractions du même type prévues par le code pénal (violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique). En outre, l’article 24 ne sanctionnait pas la diffusion d’autres éléments d’identification qui ne sont pas des images mais qui seraient pourtant diffusées avec la même intention malveillante.

La nouvelle version propose de réprimer la “provocation à l’identification des forces de l’ordre”, et non la “diffusion d’éléments d’identification”. Cette version entraîne la création d’un nouveau délit, qui selon les rapporteurs de la commission des lois du Sénat, est complémentaire à l’article 18 de la loi sur les valeurs de la République, concernant la diffusion des données personnelles sur les réseaux sociaux (cet article avait été voté après l’assassinat du professeur Samuel Paty). Ainsi, la provocation à l’identification d’un agent lorsque ceux-ci agissent dans le cadre d’une opération, sera punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amendes.

Les sénateurs estiment que les articles proposés par l’Assemblée nationale n’avaient fait l’objet d’aucune étude d’impact, ni d’avis du Conseil d’Etat ou de la CNIL. Ainsi, dans ce contexte particulier du plus sensible article de la proposition de loi, le Sénat a pour la première fois depuis 2004 saisi la CNIL pour une demande d’avis.

Mais la difficulté apparaît aussi avec la nécessité de maintenir la liberté de la presse. De nombreux organismes, tels que Reporters sans Frontières ou le Défenseur des droits s’inquiètent fortement des conséquences de cette loi sur la liberté de la presse. Le Défenseur des droits avait notamment en novembre 2020 rendu un avis, affirmant que “la libre captation et diffusion d’images de fonctionnaires de police et militaire de gendarmerie en fonction […] est une condition essentielle à l’information, à la confiance et au contrôle efficient de leur action”, même s’il admet qu’il existe des circonstances dans lesquelles les agents ont droit à des protections. Mais la préservation de leur sécurité et de leur vie privée ne doit pas empêcher le libre exercice du droit d’information du public, et le Défenseur des droits le confirme, couvrir un événement tel que des opérations de police fait partie au droit d’information légitime.

Ainsi, ces notions de dignité de la personne et du respect du droit à l’image comme limite au droit d’information légitime, est aujourd’hui un instrument pour le juge pour faire prévaloir une certaine moralisation de l’image de presse, pour imposer un “photographiquement correct” afin de cacher tous les aspects négatifs de la société actuelle. Cette voie-là est assurément dangereuse pour l’information.

Par ailleurs, ces problématiques liées au droit à l’image que nous venons d’évoquer permettent la détermination du juste point d’équilibre entre l’objectif et le subjectif et entre l’idéal et le réel.

BOSC Marianne


[1] Cass. civ. 1re, 6 mai 2010, n° 09-67.624

[2] CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, n°38432/97

[3] CEDH, 30 mars 2004, Radio-France c/ France, n°53984-00

[4] Décision « Bioéthique » du 27 juillet 1994, n° 94-343-344 DC

[5] CA Paris, 24 février 1998

[6] Cass. civ. 1re, 20 décembre 2000, Erignac, Légipresse, 2001, n° 180-III-57

[7] Cass., civ,1ère, 20 février 2001, n°98-23471

[8] Cass. civ., 1ère, 1er juillet 2010, n° 09-15479

[9] CEDH, 25 février 2016, Société de Conception de Presse et d’Edition c. France, Requête n° 4683/11